En
deçà de mon titre provocateur, je connaissais la propension de
certains médecins à vouloir réduire la complexité humaine à des
classifications, à des catégorie réductrices. De réduction,
parlons-en, il en est largement question dans l’article de M.
Juilland, pédopsychiatre, paru récemment dans le 24 Heures, où il
clamait en titre : « la prise en charge psychique va se
péjorer ». Voyons de plus près l’argumentaire du monsieur.
1.Principe
d’équité évoqué : le monsieur affirme que tous les
patients nécessitant des soins psychiques sont rapidement pris en
charge (..) par des psychiatres extrêmement compétents au
bénéfice d’une excellente formation ». Certes. Sauf que
c’est faux, de nombreux enfants, pour les cas que je suis mais pas
que, mes collègues me l’ont rapporté, ne peuvent être adressés
à des psychiatres par manque de place. S’ensuit alors un tourisme
psy qui n’est bénéfique pour personne. Cependant, je ne vois pas
en quoi l ‘excellence de cette formation médicale
empêcherait-elle l’excellence de la formation des
psychologues-psychothérapeutes ? Les
psychologues-psychothérapeutes sont eux aussi au bénéfice d’une
excellente formation. Dépassons donc la vision clivée, binaire,
totalitaire et égocentrique proposée par ce médecin.
2.« Seuls
les psychiatres sont habilités, formés et compétents pour
évaluer l’urgence et y répondre de manière adéquate ».
Comme s’il suffisait de le dire pour en faire une vérité vraie !
Et les psychologues des services d’urgence, on en fait quoi ?
Encore une fois il n’y aurait que les psychiatres de compétents
pour ce faire. Autosuffisance et prétention au menu.
3.Principe
d’efficacité évoqué : certes les médecins sont au bénéfice
d’une longue formation, 7 ans pour devenir médecin puis 6 ans
minimum de formation post-graduée en médecine somatique et en
psychiatrie. Bravo. Obligé d’applaudir. Mais en quoi le passage
par l’étude de la stomatologie, de la dermatologie ou d’autres
spécialités médicales pures est-il nécessaire à l’exercice de
la psychothérapie ? Dois-je ici rappeler que la psychothérapie
est une thérapie exercée (sur le psychisme) par le biais de moyens
psychologiques ? Le préfixe psycho-, dont les psychiatres
n’ont pas ou plus l’apanage, désolé, renvoie non pas à
l’objectif thérapeutique visé mais bien aux moyens utilisés
pour y parvenir : en effet quand nous parlons de
thalassothérapie, est-ce que l’on soigne la mer ou au moyen de la
mer ? Là encore, les psychologues sont également outillés
pour pratiquer de la psychothérapie per se, sans passer par la case
médicale, superfétatoire pour un bout et en l’espèce. A la
limite, poussons un peu l’argument en disant que seuls les
psychologues ont appris des techniques purement psychologiques alors
que les psychiatres, de par leur pouvoir à prescrire et dispenser
des traitements médicamenteux, pourraient davantage s’intituler
« chimiothérapeutes » que psychothérapeutes. Trêve de
provocation : il est piquant d’ailleurs de relever que ma
collaboration entre des médecins pédiatres prescrivant de la
médication à un enfant d’une part et d’autre part le thérapeute
que je suis pratiquant la psychothérapie avec ce même enfant
donne lieu à des résultats très intéressants en terme
d’efficacité. De plus la vision combinée de spécialistes est
plus riche, plus objective que la vision unique de quelqu’un qui
est seul et se veut seul aux commandes.
4.
En raison de sa double formation de médecin-psychiatre et de
psychothérapeute, le monsieur d’alléguer que lui , ses confrères
et consoeurs seraient les seul-e-s à pouvoir appréhender la
personne dans sa complexité. Au-delà du caractère prétentieux et
récurrent de cette affirmation, je comprends mieux désormais
pourquoi les coûts de la santé explosent si à chaque fois qu’une
psychothérapie est requise, il faille passer par une évaluation
bio-psycho-patho-médico-sociale. Détendez-vous, Monsieur, ne portez
pas le monde sur vos seules épaules et essayez la collaboration.
5.
Principe de responsabilité : le Dr Juilland rappelle que dans
le modèle de la délégation actuelle qui va du psychiatre au
psychologue, c’est le psychiatre seul qui porte toutes les
responsabilités. Il arguments psychiatro-centristes une peur de
laisser son pré carré jusque-là incontesté s’ouvrir à
d’autres spécialistes.
6.
Principe d’économicité : la peur est clairement exprimée
que compte tenu des nombreux psychologues formés par les universités
suisses et par l’ouverture européenne la profession de
psychothérapeute exercée par les psychiatres ne soit dumpée,
pillée par eux. Ça me fait penser à l’argument du plombier
polonais qui nourrissait toutes les angoisses il y a quelques années.
7.
Enfin le psychiatre récuse le principe du projet d’ordonnance
visant à permettre à tout médecin quelle que soit sa spécialité
de prescrire une psychothérapie. Comme si un-e pédiatre n’était
pas à même par exemple d’identifier une dépression chez un jeune
patient ou d’autres troubles psy (anxiété, phobies,
fonctionnements dits limites etc.) nécessitant soit directement un
traitement quand cela leur semble clair, soit un bilan psychologique
s’il y a doute. Pour le moins dénigrant vis-à-vis de collègues
médecins.n’est pas inutile de rappeler que de telles
responsabilités n’effraient à priori pas les psychologues, les
ressources existant dans le contexte social actuel pour trouver des
solutions particulières si le besoin s’en ferait sentir. A priori
et là encore semble poindre derrière ces
Bref
plus j’avance dans la lecture de l’article et plus j’en reviens
à la même conclusion : dans l’esprit de son auteur, seul le
psychiatre suisse, qui seul a une vision complète de la personne en
souffrance sous toutes ses coutures, serait habilité à poser une
indication à la psychothérapie conduite sous la seule
responsabilité d’un psychiatre, à l’exclusion de toute autre
spécialiste. L’omniscience et l’omnipotence revendiquées ici
sont-elles l’expression d’un ego professionnel hypertrophié ?
D’une angoisse à devoir partager un métier pour lequel il y
a une demande croissante ? Ou alors un chant du cygne ? Les
trois hypothèses peuvent aussi se cumuler.
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