vendredi 20 septembre 2019

"La prise en charge psychique va se péjorer parce que conduite désormais par des nuls."


En deçà de mon titre provocateur, je connaissais la propension de certains médecins à vouloir réduire la complexité humaine à des classifications, à des catégorie réductrices. De réduction, parlons-en, il en est largement question dans l’article de M. Juilland, pédopsychiatre, paru récemment dans le 24 Heures, où il clamait en titre : « la prise en charge psychique va se péjorer ». Voyons de plus près l’argumentaire du monsieur.

1.Principe d’équité évoqué : le monsieur affirme que tous les patients nécessitant des soins psychiques sont rapidement pris en charge (..) par des psychiatres extrêmement compétents  au bénéfice d’une excellente formation ». Certes. Sauf que c’est faux, de nombreux enfants, pour les cas que je suis mais pas que, mes collègues me l’ont rapporté, ne peuvent être adressés à des psychiatres par manque de place. S’ensuit alors un tourisme psy qui n’est bénéfique pour personne. Cependant, je ne vois pas en quoi l ‘excellence de cette formation médicale empêcherait-elle l’excellence de la formation des psychologues-psychothérapeutes ? Les psychologues-psychothérapeutes sont eux aussi au bénéfice d’une excellente formation. Dépassons donc la vision clivée, binaire, totalitaire et égocentrique proposée par ce médecin.

2.« Seuls les psychiatres sont habilités, formés et compétents  pour évaluer l’urgence et y répondre de manière adéquate ». Comme s’il suffisait de le dire pour en faire une vérité vraie ! Et les psychologues des services d’urgence, on en fait quoi ? Encore une fois il n’y aurait que les psychiatres de compétents pour ce faire. Autosuffisance et prétention au menu.

3.Principe d’efficacité évoqué : certes les médecins sont au bénéfice d’une longue formation, 7 ans pour devenir médecin puis 6 ans minimum de formation post-graduée en médecine somatique et en psychiatrie. Bravo. Obligé d’applaudir. Mais en quoi le passage par l’étude de la stomatologie, de la dermatologie ou d’autres spécialités médicales pures est-il nécessaire à l’exercice de la psychothérapie ? Dois-je ici rappeler que la psychothérapie est une thérapie exercée (sur le psychisme) par le biais de moyens psychologiques ? Le préfixe psycho-, dont les psychiatres n’ont pas ou plus l’apanage, désolé, renvoie non pas à l’objectif thérapeutique visé mais bien aux moyens utilisés pour y parvenir : en effet quand nous parlons de thalassothérapie, est-ce que l’on soigne la mer ou au moyen de la mer ? Là encore, les psychologues sont également outillés pour pratiquer de la psychothérapie per se, sans passer par la case médicale, superfétatoire pour un bout et en l’espèce. A la limite, poussons un peu l’argument en disant que seuls les psychologues ont appris des techniques purement psychologiques alors que les psychiatres, de par leur pouvoir à prescrire et dispenser des traitements médicamenteux, pourraient davantage s’intituler « chimiothérapeutes » que psychothérapeutes. Trêve de provocation : il est piquant d’ailleurs de relever que ma collaboration entre des médecins pédiatres prescrivant de la médication à un enfant d’une part et d’autre part le thérapeute que je suis pratiquant la psychothérapie avec ce même enfant donne lieu à des résultats très intéressants en terme d’efficacité. De plus la vision combinée de spécialistes est plus riche, plus objective que la vision unique de quelqu’un qui est seul et se veut seul aux commandes.

4. En raison de sa double formation de médecin-psychiatre et de psychothérapeute, le monsieur d’alléguer que lui , ses confrères et consoeurs seraient les seul-e-s à pouvoir appréhender la personne dans sa complexité. Au-delà du caractère prétentieux et récurrent de cette affirmation, je comprends mieux désormais pourquoi les coûts de la santé explosent si à chaque fois qu’une psychothérapie est requise, il faille passer par une évaluation bio-psycho-patho-médico-sociale. Détendez-vous, Monsieur, ne portez pas le monde sur vos seules épaules et essayez la collaboration.

5. Principe de responsabilité : le Dr Juilland rappelle que dans le modèle de la délégation actuelle qui va du psychiatre au psychologue, c’est le psychiatre seul qui porte toutes les responsabilités. Il arguments psychiatro-centristes une peur de laisser son pré carré jusque-là incontesté s’ouvrir à d’autres spécialistes.

6. Principe d’économicité : la peur est clairement exprimée que compte tenu des nombreux psychologues formés par les universités suisses et par l’ouverture européenne la profession de psychothérapeute exercée par les psychiatres ne soit dumpée, pillée par eux. Ça me fait penser à l’argument du plombier polonais qui nourrissait toutes les angoisses il y a quelques années.

7. Enfin le psychiatre récuse le principe du projet d’ordonnance visant à permettre à tout médecin quelle que soit sa spécialité de prescrire une psychothérapie. Comme si un-e pédiatre n’était pas à même par exemple d’identifier une dépression chez un jeune patient ou d’autres troubles psy (anxiété, phobies, fonctionnements dits limites etc.) nécessitant soit directement un traitement quand cela leur semble clair, soit un bilan psychologique s’il y a doute. Pour le moins dénigrant vis-à-vis de collègues médecins.n’est pas inutile de rappeler que de telles responsabilités n’effraient à priori pas les psychologues, les ressources existant dans le contexte social actuel pour trouver des solutions particulières si le besoin s’en ferait sentir. A priori et là encore semble poindre derrière ces

Bref plus j’avance dans la lecture de l’article et plus j’en reviens à la même conclusion : dans l’esprit de son auteur, seul le psychiatre suisse, qui seul a une vision complète de la personne en souffrance sous toutes ses coutures, serait habilité à poser une indication à la psychothérapie conduite sous la seule responsabilité d’un psychiatre, à l’exclusion de toute autre spécialiste. L’omniscience et l’omnipotence revendiquées ici sont-elles l’expression d’un ego professionnel hypertrophié ? D’une angoisse à devoir partager  un métier pour lequel il y a une demande croissante ? Ou alors un chant du cygne ? Les trois hypothèses peuvent aussi se cumuler.

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